Interview de Yifan Hou

Yifan Hou, prodige des échecs, obtient le titre de Grand Maître International en 2008 et, à l'âge de 14 ans et 6 mois, elle devient championne du monde d’échecs en 2010, ce qui en fait la plus jeune femme à avoir obtenu ces deux titres.

G.B.      Vous avez le palmarès le plus brillant de ce « Trophée Karpov » avec 4 titres de championne du monde. Que représentent les échecs pour vous aujourd’hui ?

Y.H.      Les échecs c’est vraiment ma passion. Je me suis pleinement investie mais cela ne représente pas tout pour moi, ce n’est qu’une part de ma vie. Toutefois, j’ai toujours l’ambition de faire quelque chose pour les échecs.

G.B.      Après avoir renoncé à défendre votre titre, vous êtes l’une des rares avec Judit Polgar à vous mesurer avec succès dans les tournois masculins. Avez-vous encore des ambitions de jouer au plus haut niveau ?

Y.H.      Oui. Cependant je n’ai pas un but précis pour le futur, je souhaite aller aussi loin que possible. J’étais autour de 2650 Elo pendant plusieurs années pour atteindre un pic à 2680. J’espère améliorer mon classement Elo et pouvoir réaliser encore des bonnes performances. Aujourd’hui les ordinateurs ont un grand impact sur le jeu avec beaucoup de préparations, d’interactions entre l’homme et la machine. Pour moi, il y a un encore un aspect important dont il faut tenir compte, sauvegarder la beauté du jeu.

G.B.      Vous suivez des études depuis 2018 à l’Université d’Oxford en Angleterre. Est-il possible de faire les deux, les études et les échecs ?

Y.H.      Cela n’a pas été facile, j’ai essayé de combiner les échecs avec les études jusqu’en 2012 mais c’était en Chine dans ma langue maternelle. A Oxford, en étudiant en anglais, c’est un peu plus difficile. J’ai essayé de conserver la balance entre les études en ne jouant aux échecs que pendant les périodes de vacances. Mais je vais être obligée de me donner des priorités et ce ne sera pas les échecs.

G.B.      Les conditions du championnat du monde féminin se sont nettement améliorées depuis l’arrivée du nouveau Président de la FIDE, êtes-vous tentée, avec le meilleur Elo, d’essayer de reprendre le titre mondial pour une 5ème fois ?

Y.H.      Franchement, c’est une longue histoire un peu compliquée. Depuis que M. Dvokorvitch a été élu, il a provoqué de réels changements ce qui est plutôt bien pour les joueurs et les joueuses professionnels. Ceci est très favorable à la promotion des échecs en général. Je suis très contente parce le Président a tenu compte de mon avis concernant l’organisation du championnat du monde féminin et finalement la FIDE a changé les règles comme je l’avais souhaité il y a 3 ans. Si j’avais prévu cela, j’aurais peut-être continué à jouer sans avoir besoin de passer par les qualifications pour défendre à chaque fois mon titre.

G.B.      La Chine avec deux candidats qualifiés pour la première fois de son histoire peut espérer voir un Chinois devenir le challenger de Carlsen. Comment jugez-vous cette situation ?

Y.H.      Je suis très heureuse de ce résultat, deux candidats c’est mieux qu’un comme dans le cycle précédent et peut-être pourra-t-il y avoir un troisième candidat via le « Grand Prix » ! Ce qui prouve que la progression des échecs en Chine, surtout chez les hommes, est très importante. Déjà, en étant candidat, vous êtes plus proche du titre mondial mais si vous devenez challenger…      

G.B.      Si cela se produisait, pensez-vous que la popularité des échecs en Chine pourrait être comparable avec celle provoquée par Vishy Anand en Inde ?

Y.H.      C’est difficile à dire mais pour être honnête c’est une étape importante et cela rendra les échecs plus populaires. Je doute que cela soit comparable avec l’Inde car en Chine nous avons tant d’autres sports, notamment des sports olympiques avec des positions bien établies. C’est le dernier palier que nous devons franchir. Après les titres mondiaux des femmes, les Olympiades et les championnats par équipes, il ne reste que le titre de champion du monde pour un Grand-Maître chinois.

G.B.      Sur le plan du jeu, de la personnalité, quelle est le joueur qui a votre préférence ?

Y.H.      Bobby Fischer pour la puissance de son jeu et sa personnalité. S’il pouvait revenir maintenant et utiliser les ordinateurs, il serait certainement parmi les 3 meilleurs du monde. Je pense que c’est l’un des plus forts joueurs de l’histoire.

G.B.      Y a-t-il des génies des échecs ou le génie aux échecs est-il le résultat de beaucoup de travail ?

Y.H.      Selon moi les échecs c’est 98 % de dur labeur. Le talent se révèle lorsqu’on entre dans le « Top Ten » mais si tu n’as que le talent sans travailler cela ne suffit pas pour arriver parmi les meilleurs.

G.B.      C’est votre 2ème participation au Cap, qu’est-ce qui vous plaît dans ce tournoi ?

Y.H.      Ce tournoi est parfait et il me semble que ça n’a pas changé par rapport à ce que j’ai connu il y a 11 ans. C’est plutôt rare de revenir après si longtemps, alors que j’étais très jeune, et de retrouver la même atmosphère.

G. Bertola