Interview de Bassem Amin

Bassem Amin, 31 ans venu d’Egypte, Grand-Maître depuis 2006, est actuellement le meilleur joueur venu du continent africain. Quintuple champion d’Afrique, il a participé avec succès à de nombreux tournois. Citons une première place ex-æquo au très fort Open de Reykjavik en 2013, un classement Elo de 2700 en 2017 qui lui permit de devenir le premier joueur africain à franchir ce palier symbolique réservé au super Grand-Maître. Cette année, il a été sélectionné pour la première fois dans un tournoi rapide du « Grand Chess Tour » qui a réuni le top mondial à Abidjan.

Georges BERTOLA : Comment avez-vous découvert le jeu ?

Bassem AMIN : J’ai appris à 5 ans avec mon père qui n’était pas un joueur mais connaissait les règles. Comme j’étais un enfant plutôt calme mon père a pensé que le jeu d’échecs pourrait m’intéresser et ça ma tellement plu que je voulais jouer tous le temps. Une fois, l’échiquier s’est renversé et j’ai remis la position sans hésiter. Mon père a été très impressionné et c’est à ce moment qu’il a fait appel à des professeurs d’échecs. J’ai joué mon premier tournoi à 6 ans, le championnat d’Egypte des moins de 12 ans avec une 2ème place.

G.B. : Les échecs sont-ils populaires en Egypte ?

B.A. : Non, en Egypte c’est le football qui prime.

G.B. : Vous êtes le numéro 1 devant le GM Ahmed Adly, y a-t-il beaucoup de titrés dans votre pays ?

B.A. : Il y a 6 Grands Maîtres et une vingtaine de Maîtres Internationaux.

G.B. : Que préférez-vous dans le jeu ?

B.A. : Je suis simplement heureux lorsque je joue. Les joueurs d’échecs, pendant leur temps libre, jouent aux échecs  ! Trouver une belle combinaison, une finesse tactique, c’est du bonheur. Quelquefois, quand vous perdez une partie, c’est de la souffrance. C’est aussi la raison pour laquelle une belle victoire vous rend si heureux. J’aime aussi le fait qu’il faut apprendre continuellement pour progresser. Le travail, selon moi, est la seule manière de progresser même si le résultat ne vient pas tout de suite.

G.B. : Toujours pas de grandes joueuses en Afrique, pourquoi ?

B.A. : Les meilleures joueuses ont environ 2150 points Elo. Les échecs en général n’ont aucun support des fédérations, pas d’argent et pas de tournoi digne de ce nom pour les joueuses. De plus, une jeune femme ne peut voyager seule, elle doit être accompagnée selon nos cultures.

G.B. : Avez-vous un joueur préféré dans l’histoire ?

B.A. : Oui, Bobby Fischer ! Il m’a beaucoup inspiré. D’ailleurs, ma première partie que vous trouverez dans les bases de données est une attaque Est-indienne qu’il affectionnait à ses débuts. Depuis 1997, je n’ai cessé de la jouer jusqu’à ce jour, par exemple, ma partie contre Elisabeth Paetz dans ce tournoi.

G.B. : Vous êtes diplômé en médecine de l’université de Tanta depuis 2012, vous n’êtes donc pas un joueur d’échecs professionnel ?

B.A. : Je suis diplômé en médecine depuis 2012. J’ai fait un stage dans un hôpital pendant un an. Puis j’ai fait mon service militaire pendant 15 mois. En 2016, j’ai choisi les échecs car travailler simultanément dans les deux domaines était impossible. Depuis trois ans je suis professionnel et travaille seul sans entraîneur, ce qui nécessite plus de temps.

G.B. : Pensez-vous qu’il soit possible de voir émerger un candidat au titre mondial venu du continent africain dans un avenir proche ?

B.A. : En ce qui me concerne, c’est facile de dire que je veux devenir candidat mais cela me semble très difficile. Mon objectif est de parvenir à 2750. Peut-être chez les plus jeunes car il y a quelques GM prometteurs.

B.A. : Que vous inspire l’actuel champion du monde Carlsen ?

B.A. : Carlsen est un grand joueur et donne une belle image des échecs. Cette année, il est tellement fort qu’il a quasiment gagné tous les tournois auxquels il a participé. Il restera probablement champion du monde pendant les cinq prochaines années ou plus pour devenir l’un de plus grands champions de l’histoire. Pour l’instant je ne vois que deux favoris pour lui disputer le titre, Ding Liren et Fabiano Caruana. Peut-être un troisième avec MVL s’il parvient à se qualifier.

G.B. : C’est la première fois que vous jouez au Cap, quelles impressions ?

B.A. : L’atmosphère ici est fantastique, tous ces joueurs ensemble. De jouer des parties semi-rapides met moins de pression que les parties classiques. L’organisation est parfaite, la salle Molière et les conditions de jeu sont excellentes.