Interview avec Sunil Weeramantry

Hikaru joue n'importe quoi contre n'importe qui. Il jouera certainement différemment à partir des quarts de finales.

Ce maître FIDE, originaire du Sri Lanka, vit actuellement aux Etats-Unis. A la fois coach et beau-père de Nakamura, il a une longue expérience dans le domaine des échecs et a participé à plusieurs Olympiades notamment Buenos Aires en 1978 et, au début de sa carrière, résidant à Genève, il a même participé au championnat suisse par équipes dans les années soixante.

GB- Vous serez le capitaine de l'équipe du Sri Lanka à Dresde aux prochaines Olympiades. Comment se portent les échecs au Sri Lanka ?
SW-Par rapport à ce qui se passe en Inde, les échecs au Sri Lanka ne progressent pas tellement. Nous sommes pourtant si proches mais, même si les échecs sont assez populaires, il n'y aucun GMI ou MI mais seulement trois FM, tous relativement âgés et je suis le seul en exercice, numéro un sur la liste FIDE. Le problème c'est que les jeunes jouent mais dès qu'ils entrent à l'Université, ils abandonnent rapidement le jeu.
GB-En quoi consiste le rôle de secondant de son fils ?
SW-C'est surtout un support psychologique car sur le plan technique et au niveau des variantes, je ne peux plus faire grand-chose pour lui. Quelques fois, dans le choix des ouvertures, il me demande mon avis, mais pas souvent.
GB- La préparation était-elle importante dans ce tournoi ou s'agit il principalement de surprendre son adversaire ?
SW- Hikaru joue n'importe quoi contre n'importe qui. Il jouera certainement différemment à partir des quarts de finales.
GB-Par rapport aux années 70, à part l'arrivée des ordinateurs, qu'est-ce qui a changé dans le monde des échecs ?
SW-Le niveau des joueurs et surtout des joueuses à énormément progressé. On joue très différemment, beaucoup plus dynamique. Autrefois, on jouait plus fermé, plus technique et c'est surtout l'arrivée de Kasparov qui a changé tout cela. Avec l'aide des ordinateurs, il est possible de jouer des variantes que l'on n'aurait jamais osé jouer.

Georges Bertola, sa femme Marianne et Sunil Weeramantry

GB-Nakamura joue-t-il en professionnel?
SW-Oui, mais après les Olympiades de Turin il a repris ses études et maintenant il n'est pas qualifié pour les Grands Prix pour réintégrer la course au titre mondial. Il a donc perdu 2 ans par rapport à 2006 où il avait un meilleur classement Elo et beaucoup d'invitations qu'il a malheureusement dû refuser pour poursuivre ses études.
GB-Le choix du professionnalisme est donc très difficile comme il offre relativement peu de débouchés et s'il on rentre trop tard dans la compétition, il y a aucune chance de parvenir parmi les meilleurs.
SW-C'est aussi difficile en tant que parent de conseiller ses enfants car on voudrait qu'ils réussissent quoiqu' ils entreprennent. Aujourd'hui il faut être dans les 10 ou 20 meilleurs pour être invité dans les grands tournois et pourtant, Hikaru a d'excellents résultats contre des joueurs à plus de 2700 Elo.
GB-Chaque année des nouveaux talents arrivent, notamment de Chine et d'Inde. L'espace temps pour réussir une carrière se réduit de plus en plus pour tous les joueurs. Par exemple, l'arrivée de la jeune Chinoise Hou Yifan du haut de ses 14 ans est impressionnante.
SW-Oui, c'était encore impossible il y a dix ans.
GB-Quels sont les joueurs qui vous impressionnent le plus ici au Cap ?
SW- Le tournoi est extrêmement relevé. Carlsen évidemment est très fort. Hikaru a fait 2 nulles contre lui en 2005 à Bienne mais peut-être à ce moment-là Carlsen n'était -il pas aussi fort. Ici au Cap la partie était très intéressante. Fabiano Caruana joue très bien, il a fait beaucoup de progrès et est très sérieux. Il a très bien joué contre Bu Xiangzhi et j'étais surpris par le résultat. Bu est beaucoup plus fort dans les parties lentes, il n'est pas à l'aise avec cette cadence mais ici il a pourtant bien joué. Maxime Vachier-Lagrave a considérablement progressé et on ne peut pas le juger sur la mauvaise partie contre Caruana.
GB-La crise économique, va-t-elle remettre en question la mise sur pied des tournois ?
SW-Aux Etats-Unis, je ne sais pas ce qui va se passer, il n'y a pas tellement de sponsors, les prix des tournois sont alimentés par les finances d'inscription provenant essentiellement des joueurs participant aux opens. Il n'y a pratiquement pas de tournois fermés sur invitation. C'est donc le nombre de participants qui sont les garants des prix. Avec la crise économique, il y aura beaucoup moins de joueurs et les prix seront réduits.
GB-Que pensez-vous du championnat du monde qui se joue actuellement ?
SW-Je suis très surpris par les défaites sévères de Kramnik. De plus, je ne comprends pas que l'on puisse partager le prix quelque soit le résultat. Aux Etats-Unis ce serait inconcevable.

Georges Bertola Cap d'Agde 28.10 2008